Marketing au monastère : ce que les moines et les entrepreneurs ont en commun
Marketing au monastère : ce que les moines et les entrepreneurs ont en commun
VALERIE TALMON | LE 01/07/2015 À 05:00
Univers religieux et monde séculaire ne sont pas si éloignés qu’on le croit. Alors que les productions « made in abbayes » sont de plus en plus tendance, découverte de ce que les moines peuvent apporter aux entrepreneurs. Et inversement. D’un pot de miel à la châtaigne grillée à une paire de sandales en cuir véritable en passant par une fiole d’huiles essentielles, les rayons sont bien garnis, les frais de livraison accessibles… mais vous n’êtes pas sur Amazon. Avec 3.600 références, Les Boutiques de Théophile rencontrent pourtant un beau succès. Le créneau e ce site internet ? L’artisanat monastique. Un marché de niche mais en plein développement. Certes, on pourrait s’étonner de constater qu’un monde ayant fait le choix du silence, de la pauvreté, vienne justement à la rencontre du monde de la consommation, bruyant, voué à l’argent, etc. Mais les deux univers se rencontrent pourtant. Un marché et des vœux L’activité marchande monastique se partage entre les produits et les services. Côté service, l’essentiel réside dans l’hôtellerie, c’est-à-dire l’accueil d’hôtes au sein des monastères. « En cela, les religieux suivent la règle de Saint Benoit sur la vocation d’hospitalité des moines», souligne Marie-Catherine Paquier, professeur de marketing à Novancia et spécialiste du sujet*. Avec une particularité : comme cette activité d’accueil fait partie intégrante de la règle monastique, elle n’est pas soumise à la TVA. Mais l’activité marchande monastique, c’est aussi la production et la vente d’objets religieux (icône, croix, vêtements liturgiques) et de grande consommation. A côté des grands classiques comme la bière des Trappistes, les biscuits, miel, fromages, etc., on trouve aujourd’hui des productions plus surprenantes, comme les cosmétiques, avec de plus en plus de produits d’aromathérapie, des compléments alimentaires, etc. Entre ouverture au monde et nécessité économique Qui sont les moines derrière cette production ?« Cette activité concerne essentiellement les ordres contemplatifs, à la différence donc des ordres mendiants (franciscains, dominicains, qui sont davantage présents dans la société à travers l’éducation, la santé, etc.), précise Marie-Catherine Paquier. Ces moines producteurs sont donc surtout des Bénédictins et des Cisterciens, dont les fameux moines trappistes, ainsi que des Clarisses et des Carmélites.» Comment ces ordres, dits contemplatifs, arrivent-t-ils à concilier leurs voeux avec cette activité marchande, capitalistique ? Avant tout, bien sûr, parce que cette activité trouve sa justification dans la survie même de l’Ordre : « Avec la diminution des vocations, la baisse conséquente du patrimoine, et la hausse des dépenses pour subvenir aux besoins d’une populations de moines vieillissante, trouver de nouvelles sources de revenus s’impose comme un impératif, pose Marie-Catherine Paquier. Mais c’est aussi, pour eux, une façon d’entrer en contact avec le monde extérieur. » Du monastère à l’entreprise, des chemins impénétrables ? Certes, la finalité de cette activité marchande monastique n’est pas du tout la même que chez les entreprises classiques. Pas question ici de ne viser que le profit : « le travail est avant tout une valeur importante, une forme de prière, un recueillement, note Marie-Catherine Paquier. La finalité première du travail, c’est la prière ». Mais au-delà de cette différence de taille, il existe de nombreuses similitudes entre l’entreprise classique et les moines : le respect des normes, la traçabilité, les codes marchands. Car oui, les moines font du marketing. Face au succès et à ce qu'il draine en terme de contrefaçon, ils ont ainsi créé dès 1989 l’association et la marque « Monastic », avec un site internet regroupant 230 abbayes sur les 340 que compte la France. « Cette marque a été créée par les monastères et abbayes pour se protéger des utilisations abusives de l’image des moines par certaines industries », confie la spécialiste. Bref, oui, les moines ont su mettre en oeuvre une réelle démarche d’évolution de la marque. Amazon version abbayes Idem avec le packaging, qui est très travaillé. Et, surtout, il y a la distribution : «Les moines contrôlent leur réseau de distribution qui est à la fois multicanal, multiforme, religieux et laïc, mais toujours avec un ADN communautaire", relève Marie-Catherine Paquier. Il existe par exemple une market place virtuelle, Les boutiques de Théophile, un peu l’équivalent Amazon version abbayes. Une autre marque, Artisanat Monastique, compte 8 boutiques dans de grandes villes françaises et un site internet. Les abbayes elles-mêmes sont environ 150 à avoir créé en leur sein une boutique de vente de leurs produits. Sans compter les abbayes qui ont développé leur propre site internet, comme l’Abbaye de Chantelle, proposant une belle marque de cosmétique. Depuis plusieurs années, le monde du management tente de s’inspirer de certaines pratiques monastiques. Ceci par le biais de séminaires, de week-end de retraite et bien sûr d’ouvrage comme « Le Moine et l’Entrepreneur », ou « En quête de sens », écrit par des moines à destination des managers. Une offre qui rencontre une réelle demande Il reste difficile d’avancer des chiffres sur ce marché, la grande majorité des abbayes n’étant pas structurées en entreprise commerciale mais sous forme associative, et n’ont donc pas l’obligation de publier leurs comptes. « Pour les plus grandes abbayes, le chiffre d’affaires annuel peut atteindre les 2 millions d’euros, estime toutefois Marie-Catherine Paquier. Et, pour les plus petites, quelques milliers d’euros. » Toutefois, la multiplication des sites et points de vente révèle un réel engouement. Les productions monastiques correspondent en effet à la recherche du consommateur : « c’est un monde multiséculaire dans l’air du temps, liant traçabilité, circuit court, production locale authentique, rattachée à un terroir et à une histoire, et en outre, porteuse de sens. Le produit monastique apparait comme un produit de patrimoine, bien davantage qu’un produit spirituel. » Autant de qualités chères à tous les directeurs marketing ! Des liens entre monastères et entrepreneurs Pour autant, ces activités en plein développement sont destinées à rester une activité de niche car le travail ne doit pas prendre le pas sur le reste de l’activité monastique ni bien sûr sur la prière. Ainsi, certaines abbayes confient et/ou revendent parfois leur activité, quand elle devient trop importante, à des entrepreneurs classiques. D’autre choisissent de poursuivre avec des associés laïcs. C’est le cas de l’Abbaye d’Aiguebelle, qui a revendu sa production de sirop en Provence à une entreprise locale, devenue très connue pour ses sirops rebaptisés Eyguebelle.En parallèle, de nombreux points de vente laïcs se sont emparés du phénomène, comme Agape, un site créé par un entrepreneur avec un positionnement bien-être. A Paris, il existe une boutique, plutôt haut-degamme, le Comptoir des Abbayes. De nombreuses épiceries fines vendent aussi des produits issus des monastères. Bref, les canaux de distribution couvrent tous les champs, mis à part la grande distribution, ce qui semble somme toute assez cohérent. Sans oublier que ne produisant pas tout, ces abbayes sont aussi des clientes d’autres entreprises locales pour leurs flacons, leurs étiquettes, générant ainsi des activités dans le monde « laïc ». Un business florissant qui essaime donc au-delà des murs du monastère. *« Comment se développer sans perdre son âme », in "Objectif Business Developpement", éditions EMS