Article "trucs en plumes" des carmélites, Boutique Théophile
Les "trucs en plume" des carmélites
Verdun (Meuse)
Derrière la lourde porte en bois du monastère vivent cloîtrées dix sœurs... et un « mammouth ». Ce mastodonte de machine à coudre porte bien son nom. Immense dans l'atelier dont il occupe tout l'espace, il est presque aussi sacré que les icônes habillant les murs blancs. Et pour cause : grâce à lui, les religieuses du carmel de Verdun confectionnent chaque année quelque 800 pièces haut de gamme pour réchauffer les cœurs et les corps. Car le « truc » de ces moniales contemplatives, à part Jésus à qui elles vouent leur vie, ce sont les plumes ! D'oie ou de canard, elles les transforment en couettes douillettes et oreillers moelleux vendus dans leur boutique, par correspondance et même sur Internet.
« Qui aurait cru que je connaîtrais un jour l'effet gonflant du duvet d'oie ? » sourit sœur Laure. Casque rouge sur les oreilles, fines lunettes laissant apparaître son regard brun vert, elle active la machine soufflant le délicat plumage dans une couette mi-saison. Il y a déjà quatorze ans que la benjamine du monastère, 38 ans, a troqué sa blouse d'étudiante en médecine contre le scapulaire, robe marron symbole de sa dévotion. Depuis, elle oscille entre le silence, la solitude et... son activité de chef d'entreprise. Elle est depuis quatre ans la gérante improvisée des Ateliers Plumlaine, SARL d'artisanat monastique dont la spécialité est la couverture piquée en laine. « La valeur travail fait partie intégrante de la condition humaine et de notre foi », explique Marie-Béatrice, la chargée du mammouth.
Ce que les carmélites disent moins, c'est que, sans Plumlaine et ses 70 000 € de chiffre d'affaires, la survie du monastère serait incertaine. Elle leur permet de couvrir une partie de leurs chiches dépenses de nourriture, charges sociales, santé, chauffage, électricité. « Les dons baissent. Nous, on vieillit. Il faut augmenter les commandes, sinon ça va devenir difficile. Peut-être essayer de vendre à l'étranger », s'interroge Marie-Geneviève, la doyenne de 87 ans, entrée au monastère il y a soixante ans. C'est tout le casse-tête de Laure : faire tourner son business sans rien sacrifier à sa mission première, la prière. Les heures consacrées au travail rémunéré sont décousues. De 10 h 15 à 11 h 45 puis de 13 h 45 à 16 h 45. Là, les sœurs exercent leur art, sans jamais tirer la couverture à elles. « Tout est collectif. » Le reste est millimétré pour la vie spirituelle. Celle-ci commence à 6 heures et est rythmée par les prières, en silence ou chantées, données dans le chœur. Mardi, jour de notre visite, les vêpres de 17 heures ont été dites pour les victimes des attentats de Belgique. « Ça demande une gymnastique de l'esprit, concède sœur Régine, responsable de la communauté. Parfois, pendant la prière, je pense à un problème sur une commande. Je le note sur un petit carnet pour vite revenir à mon cheminement intérieur. »
« En ce moment, on fait - 10 % », reprend sœur Laure qui, en bonne entrepreneuse, ne se laisse pas plumer. Elle est à l'origine du site Web et de l'élargissement de la gamme de produits. Marie-Andrée et Armand Grimm sont venus profiter des promos. « On vient pour la super qualité des produits et parce que ça aide les sœurs. » Du magasin, le couple repart avec deux oreillers. Y poser sa tête, c'est le paradis, jurent-ils.
Florence Méréo